Aux côtés de l’agilité et de la bienveillance, l’intrapreneuriat est en passe de devenir le nouveau mot magique des entreprises. Un Graal, à mi-chemin entre l’intérêt individuel et celui de l’organisation. La promesse est belle... mais que peut-on en attendre vraiment ? Pour y voir plus clair, nous avons posé la question à Arabelle Laurans de Faÿ, co-fondatrice de Balthazar Akademy, et Thomas Chappuis, ex-manager chez Balthazar Consulting, qui a conçu et mis en place l’Internal startup call, le programme d’intrapreneuriat de la Société Générale à grande échelle (60 projets lancés dans 7 pays). Ils se sont prêtés au jeu de l’interview croisée.
L’intrapreneuriat est sur toutes les lèvres en ce moment. Mais de quoi parle-t-on au juste ?
Thomas Chappuis : Concrètement, il y a un intrapreneuriat qui est organique, avec des personnes qui font preuve d’initiative, croient en leur idée et vont convaincre les instances dirigeantes. Et à côté de cela, on voit se mettre en place de plus en plus de programmes institutionnalisés. Avec des objectifs qui peuvent être très variés.
Arabelle Laurans de Faÿ : Oui, d’une entreprise à l’autre, on n’y met pas du tout la même notion ! Est-ce qu’il s’agit simplement de développer la prise d’initiative ? D’identifier de nouveaux business pour trouver des relais de croissance ? De créer un nouveau département ou un nouveau métier ? La réponse est importante, car l’identification des profils et l’accompagnement seront totalement différents.
Il a y a tout de même un point commun à chaque fois, c’est d’injecter de l’entrepreneuriat à
l’intérieur de l’entreprise…
A.L. : L’entrepreneur se crée son propre système, alors que l’intrapreneur s’insère dans
un système existant. Sa particularité est de savoir jouer avec les processus. Mais, il faut garder en tête qu’à l’arrivée, le projet est vu comme appartenant à l’organisation, ce qui change beaucoup de choses… En terme de perspective pour l’intrapreneur et de volonté
de transformation pour l’organisation.
Pourquoi le sujet de l’intrapreneuriat explose aujourd’hui ?
A.L. : C’est une idée qui rassure ! L’intrapreneuriat répond à une angoisse très forte des entreprises face à leur finitude et l’incertitude de l’environnement dans lequel elles évoluent. Ça correspond à ce rêve d’éternité, l’idée qu’on peut s’auto-régénérer. Il y a une notion presque magique autour de ce mot.
T.C. : Oui, c’est un sujet très à la mode, qui peut être extrêmement bénéfique pour l’entreprise et les salariés. Mais il peut aussi être destructeur de valeur s’il est mal envisagé.
Il y a donc un côté obscur de l’intrapreneuriat ?
T.C. : Oui. Il y a un risque de générer de la frustration des deux côtés. Le cas typique, c’est l’entreprise qui estime avoir perdu du temps et de l’argent, tandis que le salarié a le sentiment de s’être investi énormément sans avoir aucune reconnaissance. Il y a alors un désalignement d’intérêt entre l’intrapreneur et l’entreprise. L’intrapreneur n’est plus un “corsaire” qui joue avec les processus, au bénéfice de l’entreprise, mais un “pirate”, qui le fait dans son seul intérêt personnel.
A.L. : L’autre écueil important, c’est le retour à la normale après l’effervescence du projet. C’est le spleen de l’intrapreneur qui se trouve de nouveau confronté à l’inertie d’un grand groupe, pris dans les processus matriciels peu responsabilisants et éloigné de leviers de décision opérationnels auxquels il a pris goût.
Comment faire pour éviter ces dangers et aller au-delà de l’effet de mode ?
A.L. : Il faut sortir de la pensée “magique” : ce n’est pas parce que j’ai développé un programme d’intrapreneuriat que mon système va se réinventer ! Être pragmatique est la clé : se mettre d’accord sur ce qu’on attend, définir des critères et indicateurs de succès, la perte acceptable, le risque que l’entreprise et le collaborateur peuvent tolérer, et enfin parler d’argent dès le début. Que se passera-t-il en cas de réussite ?Comment l’intrapreneur sera-t-il récompensé si le business développé est revendu ?
T.C. : J’ajoute un autre principe intéressant. Une étude d’Harvard a montré que les entrepreneurs de startups à succès ont en moyenne 45 ans. Ils ont appris et sont montés en maturité. En suivant ce principe, il est pertinent de capitaliser sur l’expérience au niveau de l’entreprise. En clair, ne pas hésiter à impliquer des personnes qui ont participé à un programme précédent.
Et si tout se passe bien, quels sont les gains pour l’entreprise ?
T.C. : L’intrapreneuriat permet de créer ou renforcer une culture de l’exploration dans les entreprises. Il peut casser des silos horizontaux (renforcer la proximité entre différents métiers ou business units) et verticaux (briser des plafonds de verre) et développer des compétences. Par ailleurs, la valeur pour l’image de marque de l’employeur peut être supérieure à une campagne de communication, à sujet et budget équivalents, pour un projet d’intrapreneuriat social notamment.
A.L. : C’est un puissant vecteur de sens dans l’entreprise. Les personnes qui se saisissent de projets intrapreneuriaux vont avoir un haut niveau d’engagement, et à leur tour, seront capables de fédérer autour de leur projet. Cela conduit aussi les grands groupes à être moins pensants et plus agissants. L’intrapreneur bouscule le consensus et les modèles mentaux. C’est un art subtil que d’être ce grain de sable qui crée la perle !
Ce grain de sable vertueux, comment faire pour l’identifier ?
T.C. : Il ne s’agit pas de trouver le nouveau Steve Jobs ! Plutôt que de chercher le profil d’intrapreneur idéal, il faut rassembler une équipe. Dans les startups, on sait qu’être plusieurs cofondateurs augmente le taux de survie. C’est la même chose pour l’intrapreneuriat. Cela implique donc de réunir des compétences complémentaires : par exemple une personne qui a du réseau, une personne tournée vers l’action, un expert, un candide, un développeur...
Au final, c’est quoi un programme d’intrapreneuriat réussi ?
A.L : Un programme qui génère plus de bénéfices indirects que directs. Si sur dix projets, neuf finissent par être abandonnés, on aura néanmoins créé une communauté de personnes qui réfléchissent différemment, dotée de compétences d’actions fortes, capable de travailler de façon collaborative et en réseau. L’entreprise a donc là, sous la main, ses leaders de demain. À elle de capitaliser sur ce socle et d’envisager l’intrapreneuriat comme une proposition de valeur systémique à court, moyen et long termes.
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