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Jean-Noël FELLI

Et si les premières lignes étaient les véritables premiers de cordée ?

Dernière mise à jour : 1 févr. 2021

Ces deux derniers mois, la crise sanitaire a mis en lumière le rôle de ceux qui ont longtemps été des invisibles, les “premières lignes” (médecins, infirmières, aides-soignants, caissiers, etc.) et les “deuxièmes lignes (épiciers, livreurs, personnel de ménage, éboueurs, etc.). Ce sont eux les véritables “premiers de cordée”. Par leur sens des responsabilités et leur capacité d’innovation, ils ont su trouver des solutions pour notre bien-être à tous. Leur utilité et leur valeur sont mises sur le devant de la scène; nos “bravos” à 20h en attestent.


Si une “distanciation sociale” a eu lieu, c’est bien celle entre ces travailleurs exposés, présents au quotidien, et d’autres, notamment en télétravail, plus à l’abri. Une situation certes imposée mais qui comptera à l’avenir ! Il y a un écart infini entre d’une part, les centaines de milliards d’euros annoncés pour la relance économique et de l’autre, la difficulté de la caissière de supermarché à se voir verser une prime de mille euros ! Il est difficilement concevable que ces anciens invisibles acceptent de redevenir les oubliés des mois qui viennent, témoignage d’un modèle managérial et sociétal d’un autre temps. Pour de nombreux dirigeants, l’enjeu de l’unité et de l’engagement de ce corps social est plus que jamais essentiel. Il en est ainsi pour toute personne physique : quand la tête n’entend plus, le corps nous rattrape. Il en ira de même pour toute personne morale. Favoriser “l’ex- pression” signifie bien extérioriser la pression, afin d’éviter que l’on maintienne au coeur de notre société et de nos entreprises une vraie bombe à retardement ! Trois signaux faibles sont en train de rebattre les cartes de cette expression dans nos organisations. Ils préfigurent le monde de demain.

Le corps social capteur de fragilités La force d’une organisation correspond toujours à la résistance du maillon le plus faible. Et le maillon le plus faible est indiscernable vu de haut. Le repérer, c’est faire confiance à la base du corps social pour bénéficier de capteurs au plus près du terrain. C’est avoir recours au discernement collectif des travailleurs ignorés de la stratégie, qui connaissent les zones de fragilité de nos organisations parce qu’ils les pratiquent dans les usines, les entrepôts ou les open spaces. C’est apprendre à gérer deux horizons de temps en parallèle : le très long terme autour d'une raison d'être incarnée par les dirigeants pour redonner du sens, mais aussi le très court terme, pour réconcilier le sens avec les réalités, parfois contradictoires et irritantes, du quotidien. Il est indispensable de ré-engager ces collaborateurs invisibles, car ils sont devenus les nouveaux “actifs” (“assets”) de l’organisation du 21ème siècle, au service de sa résilience. Et avec eux, c’est tout un pan de la culture participative qui évolue. Consulter deviendra un maître-mot. Collecter des témoignages, un impératif. Et lorsque les outils se heurteront à la fracture numérique, il s’agira d’identifier, parallèlement aux mouvements syndicaux, des “dialogueurs” volontaires (les organizers anglo-saxons dans les méthodes de community organizing) qui deviendront les représentants des “sans-voix” auprès des décisionnaires. Dans une entreprise résiliente, la participation des salariés devra devenir « fractale » : elle devra opérer à toutes les échelles, et par capillarité, toucher l’ensemble de l’organisation.


Des bullshit jobs aux essential jobs Pourquoi les métiers utiles socialement sont-ils restés à ce point sous-valorisés ? Impossible d’ignorer cette question au regard de la crise que nous connaissons. C’est lorsqu’on est confronté à des besoins essentiels que l’on comprend “de qui nous sommes dépendants”, pour reprendre la belle expression de Bruno Latour. Rappelons que l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule que “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune”. Que restera-t-il demain de cette prise de conscience ? Sans nul doute un changement de paradigme collectif sur la raison d’être de nos métiers. On fait référence depuis David Graeber en 2013 aux bullshit jobs dans le monde de l’entreprise pour caractériser ces tâches inutiles et souvent vides de sens qui occupent le quotidien de certains salariés du tertiaire. Il faudra dorénavant compter avec les essential jobs. Ce sont les personnes derrière ces essential jobs qui deviendront les interlocuteurs indispensables des décisionnaires en entreprise.

Un nouvel affectio societatis La crise sanitaire a révélé la place primordiale de l'affectif, de la famille, de l'amitié, de la vie intime, de la convivialité dans le quotidien des Français. Dans un contexte de recours généralisé au télétravail, de nombreux salariés ont fait l’expérience d’un nouvel équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Cette mixité au quotidien a considérablement humanisé à la fois les environnements de “travail” et les relations hiérarchiques, le “boss” n’étant plus cette figure détachée et lointaine, mais un alter ego visible dans l’intimité de son appartement, avec ses enfants en arrière-plan et ses coquetteries d’intérieur. On peut avoir l’intuition d’un monde professionnel post-Covid qui aura fait tomber de multiples barrières hiérarchiques, et qui aura peu ou prou transformé le contrat social entre le salarié et l’entreprise. Vers plus de social, et moins de contrat. Cette percolation entre l’intime et le professionnel va induire immanquablement de nouvelles attentes : moins de formalisme, plus d’horizontalité, plus de participation, plus de démocratie d’entreprise. En somme, un affectio societatis d’une autre nature, porteur d’un nouvel engagement collectif à l’échelle de l’entreprise et de la société toute entière.

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